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Le chat, le blanc... et la domestication - I

Elisabeth Morcel, Kreiz ar Mor Maine Coons, 01.2024

Livre d'heures XVI<sup>e</sup> siècle
Livre d'heures XVIe siècle

La panachure et le blanc épistatique sont mentionnés par Leslie A. Lyons parmi les 7 mutations anciennes préexistantes à la diversification des races. La préférence innée pour les variantes blanches, quelle que soit l'espère, semble être un caractère humain universel : tous les ancêtres du riz domestique sont rouges, mais la grande majorité des souches domestiques est blanche ; les journaux ou la télévision présentent souvent un rare daim blanc, des baleines à bosse ou des orques blancs, et les tigres blancs sont une attraction dans le monde entier. Les éléphants blancs sont considérés comme sacrés en Asie du Sud-est et les chevaux blancs sont prisés depuis au moins 2 500 ans. Les chats blancs n'échappent pas à la règle et sont sélectionnés par les humains depuis des centaines d'années, au départ pour leur fourrure, puis pour l'agrément.

Si votre chat est « et blanc », il descend probablement d'un chat bien précis, le premier chat « et blanc ». On ne sait pas exactement quand, mais il y a très longtemps un reste de fragment d'ADN dû à d'anciennes infections rétrovirales s'est inséré dans un nouvel endroit du génome de ce chat. Ce patron a été nommé « white spotting » (panachure) par les généticiens bien que « taches blanches » serait plus exact. Il est dû à l'insertion d'un élément rétroviral endogène dans un gène nommé KIT impliqué dans la migration des cellules pigmentaires.

I - Comment un chat devient blanc ou « et blanc »

Le génome du chat a été séquencé en 2007, et son analyse a permis de grandes avancées dans différents domaines. Celles qui nous intéressent ici concernent les différentes origines et les conséquences du blanc chez le chat.

Migration des cellules. Crête neurale dorsale
Migration des cellules. Crête neurale dorsale

Quand un œuf est fertilisé, toutes les cellules sont identiques. Ensuite, les cellules se différencient et commencent individuellement à prendre les fonctions spécifiques qu'elles auront dans l'organisme. Au cours de ce processus, certaines cellules, dont les mélanoblastes, se déplacent du dos de l'embryon, que l'on appelle crête , vers les extrémités. Ces cellules vont ensuite se différencier en devenant responsables de nombreuses fonctions. Celles qui régissent la couleur de la peau et de la fourrure sont nommées mélanocytes.

La crête neurale est une population de cellules qui se détache du bord du tube neural en développement pendant le début de l'embryogénèse. Les cellules de la crête neurale sont des cellules souches embryonnaires qui se forment à un stade précoce, près de la moelle osseuse en développement des embryons des vertébrés. Au fur et à mesure que l'embryon grandit, les cellules migrent vers différentes parties du corps et donnent naissance à de nombreux types de tissus, dont les cellules pigmentaires, des parties du crâne, de la mâchoire, des dents et des oreilles, et les glandes surrénales. Les cellules de la crête neurale affectent aussi indirectement le développement du cerveau et sont impliquées dans le développement de la face.

Si les cellules migrantes contiennent le génotype de l'absence de blanc épistatique ou de l'absence de taches blanches, elles vont jusqu'aux extrémités de l'embryon. Le chat est alors sans blanc : c'est la pleine expression de la couleur, qui correspond à l'allèle sauvage.

Si les cellules contiennent une ou 2 copies du gène de panachure, nommé Ws, elles peuvent devenir paresseuses et s'arrêter bien avant d'avoir atteint leur destination finale (les extrémités) et donnent alors une panachure. La panachure est épistatique sur toutes les couleurs. La progression de la panachure cause la régression des surfaces colorées et l'augmentation des surfaces blanches, qui sont en général de plus en plus grandes en allant vers les pattes le ventre, le poitrail et le menton (nb : ce n'est jamais l'inverse, c'est-à-dire un corps blanc avec les pattes et l'abdomen colorés).

Expression de la panachure
Expression de la panachure
Une progression quasi-complète produit le patron van, qui présente une majorité de blanc, et l'expression totale du gène est un chat tout blanc, la panachure masquant alors la couleur et le dessin du chat. L'impact typique de la panachure sur le nez et le menton, comme on l'observe sur le chat domestique et le Ragdoll, a été virtuellement éliminé de la race birmane par une stricte sélection.

Blanc épistatique
Blanc épistatique

Si les cellules contiennent une ou 2 copies du blanc épistatique (DW) la migration s'arrête aussitôt après son début et le chat est entièrement blanc. Le blanc épistatique, ou blanc dominant, empêche la migration des cellules productrices de pigment vers la peau au cours du développement embryonnaire. Si les mélanocytes ne sont pas inexistants, ils sont très peu nombreux et causent les taches de couleur provisoires sur la tête de certains chatons ( la « casquette » ).

Un peu de génétique

Il y a environ un siècle, le généticien Phineas Whiting s'est fait connaître en suggérant que la fourrure blanche et la panachure sont contrôlées par différents allèles sur un locus unique, W. Dans son modèle, les chats totalement blancs portent un allèle W, dominant sur deux allèles pour la panachure, qui sont eux-mêmes dominants sur l'allèle sauvage (couleur sur tout le corps). Plus tard, les études ont montré que Whiting avait raison : une fourrure entièrement blanche ou tachetée de blanc peut être en grande partie expliquée par les allèles d'un gène unique. Les mêmes allèles sont aussi responsables de l'association de la fourrure blanche avec la surdité.

Panachure
Panachure

Le blanc dominant, DW, et la panachure, Ws, résultent de l'insertion d'un rétrovirus endogène félin commun dans le gène KIT. KIT est impliqué dans la migration, la prolifération et la survie des mélanoblastes.

Quand KIT est défectueux, les cellules se multiplient moins vite. Une insertion totale du rétrovirus cause la panachure alors qu'une insertion partielle cause le blanc dominant. Il suffit d'une copie de l'insertion totale pour que la panachure s'exprime si l'autre allèle est de type sauvage. On a récemment constaté que KIT est également impliqué dans un autre phénotype d'hypopigmentation chez le chat : le gantage.

Outre KIT, de nombreux autres gènes peuvent causer des panachures.

II - Les différents types de blanc en détail

1 - La panachure

Expressions de Ws
Expressions de Ws

Chez le chat, le gène Ws (pour White spotting, panachure en français) affecte la migration des mélanocytes et cause une absence totale de pigment dans certaines zones du corps : il en résulte des marques blanches aléatoires sur un chat solide ou tabby.

Ws a un large éventail d'effets : d'une petite tache à du blanc sur presque tout le corps, comme chez l'arlequin ou le van. La panachure exprimée à son maximum peut ressembler au blanc épistatique, mais elle est rarement associée à la surdité.

Bicolore aux yeux vairons
Bicolore aux yeux vairons

Le gène de la panachure est épistatique sur tous les gènes de couleur, sauf sur DW (qui cause la dépigmentation totale des poils sur tout le corps). Si les zones où agit Ws sont couvertes de poils,la fourrure est blanche ; s'il n'y a pas de poil, la peau aussi est dépigmentée sur ces zones et donc de couleur rose. Si Ws agit sur les cellules qui donnent naissance au tissu oculaire au début de la phase de duplication cellulaire, la dépigmentation peut donc produire une couleur d'yeux bleue ou bleu pâle quand la croissance de l'œl est terminée. Un œil peut être bleu et l'autre de couleur normale (yeux vairons).

Bien que le degré de panachure ne soit pas clairement associé avec le nombre de copies du gène, des observations empiriques suggèrent que 2 copies de l'insertion de panachure causent plus de blanc qu'une seule copie, et l'hypothèse commune des chercheurs est que les chats homozygotes WsWs ont plus de blanc que ceux qui sont hétérozygotes : les chats van seraient WsWs et les chats bicolores Wsw+. Les chats arlequin (blanc envahissant avec la couleur restreinte à la tête, la queue et jusqu'à 4 petites taches colorées) seraient WsWs ou Wsw+. L'action de Ws est progressive et en partie due à des polygènes. Les polygènes sont les nombreux gènes mineurs qui sont responsables, entre autres, du degré de panachure (les gènes majeurs sont ceux qui affectent les caractères dominants et récessifs comme la couleur, le dessin et le type de fourrure. La présence de gènes modificateurs permettrait d'expliquer les variations phénotypiques entre un chat bicolore et un chat arlequin.

Patron van
Patron van

Le degré de panachure n'est pas clairement associé avec le nombre de copies du gène, mais des études scientifiques et l'opinion de nombreux éleveurs laissent à penser que que les chats homozygotes (ayant reçu le gène de leur deux parents) ont plus de 50% du corps blanc alors que les hétérozygotes (ayant reçu le gène d'un seul parent) ont moins de 50% du corps blanc. Globalement, un chat avec une copie du gène présenterait de 0% à 50% de blanc alors qu'un chat avec deux copies du gène présenterait de 50% à 100% de blanc.

Une étude de 2022 sur des lignées de Sibériens remet en cause cette hypothèse. Les scientifiques ont étudié la distribution des taches blanches chez les descendants de chats présentant ayant différentes quantités de panachure. Dans de nombreux cas, la quantité de blanc chez des chats supposés homozygotes était de moins de 50%, alors que chez de nombreux chats supposés hétérozygotes elle était de moins de 50%. Il semble donc que d'autres facteurs que Ws interviennent dans la transmission de la quantité de blanc chez le chat et que l'hypothèse actuelle devrait être révue. En effet, outre le cas des homozygotes et hétérozygotes pour la panachure, des exemples spécifiques de pedigrees montrent que la quantité de blanc est héritée avec des facteurs supplémentaires qui peuvent rester cachés pendant des générations. Les auteurs de l'étude concluent que d'autres recherches moléculaires sont nécessaires pour identifier d'autres mutations ou gènes responsables de la détermination des taches blanches chez les chats.

Il existe d'autres phénotypes de la panachure comme une tache au milieu du ventre, un médaillon, des taches sur le ventre, ou du blanc sur les extrémités comme des gants ou des moufles. On pense que des gènes actuellement non identifiés régissent le médaillon, la tache sur le poitrail et le « slip » blancs. On suppose notamment l'existence d'un gène récessif Lk (pour « locket » ou médaillon).

Ws contrôle la transmission génétique des taches blanches, mais ni leur taille ni leur position. Le dessin de la panachure n'est pas corrélé avec le nombre de copies du gène, et le gène ou les gènes contrôlant ce dessin restent inconnus. On ne sait pas de manière certaine si l'emplacement des taches est entièrement contrôlé par transmission génétique mais certaines répartitions de taches sont indubitablement transmises des parents aux chatons : par exemple le patron mitted des Birmans et des Ragdolls et le V inversé sur la face de certains chats bicolores. L'action de polygènes est en outre probable. Les polygènes ne peuvent pas être manipulés individuellement, cependant, en répétant la sélection pour les caractères souhaités, on peut les contrôler jusqu'à un certain point.

Toutes les taches ou les patrons blancs ne résultent pas de ces allèles car d'autres gènes peuvent aussi subir des mutations qui causent des phénotypes de dépigmentation.

2 - Le gantage : le patron birman

Birman
Sacré de Birmanie

Il y a quelques dizaines d'année, des éleveurs hollandais ont prouvé de manière empirique que le patron birman est récessif en croisant des Birmans et des chats colourpoint sans gantage, produisant ainsi uniquement des chatons sans blanc. Il y a peu, des chercheurs ont vérifié cela en identifiant une mutation sur KIT qui concorde avec le gantage des Birmans. Cette mutation est à caractère héréditaire autosomique récessif. Si on croise des Birmans avec des non Birmans, toute la première génération est de phénotype non Birman et porteuse de cette mutation.

Ragdoll mitted
Ragdoll mitted

La panachure chez le Birman n'est pas limitée aux pattes. Comme pour tous les chats à panachure peu marquée, le blanc est en général restreint à des degrés variés aux pieds, à l'abdomen et au poitrail. Génétiquement, le Birman est un chat colourpoint, bicolore low grade comme le Ragdoll mitted. Dans cette série semi-albinos (C, colourpoint), les taches blanches sur le poitrail et l'abdomen sont difficiles à identifier, parce que la fourrure immature des chats colourpoint est pâle et ne contraste pas avec le blanc. A la maturité, la couleur du corps s'intensifiant, les spots ou taches deviennent visibles ; ils sont de taille assez variable selon les individus.

Seychellois
Seychellois
Les Birmans reproduisent ce niveau de blanc assez régulièrement grâce à une sélection minutieuse des éleveurs, qui sur de nombreuses générations ont éliminé de la reproduction les chats présentant des taches blanches autres que le gantage et continuent à le faire. Les croisements d'autres chats avec le Birman pour obtenir le Ragdoll ont montré que le gantage peut être perdu très facilement et qu'une toute nouvelle distribution du blanc apparaît alors.

La fréquence de l'haplotype « Birman » est de tout juste 10% dans la population des chats sans race : cela démontre qu'isoler une variation génétique présente, même peu fréquente, chez des populations anciennes non sélectionnées permet de la fixer. Les éleveurs l'ont réalisé chez le Birman en un temps très court grâce à une stricte sélection.

La mutation est présente à des fréquences plus faibles chez d'autres chats comme le Ragdoll, le Mau Egyptien, l'Exotic Shorthair, le Maine Coon, le Manx, le Seychellois, le Siamois, le Sibérien, le Sphynx et le Van Turc, mais elle n'est associée au gantage que chez le Birman.

Il existe un test ADN pour la mutation Wg. Il concerne seulement la mutation causant le gantage chez le Birman. Un chat avec une seule copie de la mutation n'a pas les pieds gantés, mais il peut présenter des marques blanches dues à d'autres gènes de panachure. D'autres mutations causent un gantage blanc, mais elles ne sont pas encore identifiées et ne font donc l'objet d'aucun test. On pense notamment qu'il existe également un gène pour le patron mitted, qui confère des pattes gantées et une collerette blanche.

3 - Le blanc épistatique

Blanc épistatique
Blanc épistatique

WD, le blanc dominant, résulte d'un locus autosomique dominant unique. Il a des effets pléiotropiques, notamment une fourrure blanche, des iris bleus et la surdité, tous trois pouvant être attribués à une absence ou une anomalie des mélanocytes. La corrélation entre la couleur blanche de la fourrure, les iris bleus et la surdité est cependant imparfaite : les chats blancs ne sont pas obligatoirement sourds ou aux yeux bleus. Par ailleurs, à ce jour, aucune mutation responsable de la surdité chez les chats blancs n'a été confirmée.

Les chats blancs présentent une fourrure blanche uniforme, bien qu'ils naissent parfois avec une tache de couleur qui disparaît avec l'âge. Ils peuvent être unilatéralement ou bilatéralement sourds et présenter des degrés variés de gravité de la surdité, de légère à importante. En outre, leurs iris sont souvent bleus à cause de l'absence de mélanine, et la probabilité de surdité est plus importante pour les yeux bleus.

Le blanc dominant est différent de l'albinisme (Ca), qui résulte d'une mutation sur un autre gène et n'a pas d'impact connu sur l'audition.


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