Quand on aborde l'apprentissage de la génétique, il est commun, pour ne pas dire normal, de suivre les progrès historiques de cette science. Normal car ceci a pour vertu d'additionner peu à peu les connaissances en limitant les risques de méli-mélo. Pour tout dire, on commence avec la génétique dite mendélienne, on poursuit avec la théorie chromosomique de l'hérédité puis le dogme de la biologie moléculaire et, quand on élève ou parce qu'on élève, on en vient à tenter d'appréhender quelques outils biotechnologiques permettant d'éclairer aujourd'hui notre lanterne sur le statut santé d'un chat, depuis certaines infections virales pathogènes jusqu'à certaines mutations dont on aimerait bien se débarrasser.
Si et quand cela est maîtrisé, alors on peut admettre que le nécessaire a été appris. Est-ce suffisant? Peut-être pas si on réfléchit sur l'élevage à partir de termes tels: inbreeding (consanguinité, in french), linebreeding, outcross...
Car on touche là à des notions qui sont à maîtriser dans le cadre d'un programme particulier d'élevage qui doit s'inscrire dans l'ensemble de l'élevage de la race sur le long terme. C'est au delà du simple fait de faire naître des chats (ou toute autre espèce d'ailleurs) puisqu'il s'agit d'aborder la notion même de maîtrise de la reproduction. A ce propos, lire l'article sur ce qu'est l'Outcrossing.
La génétique des populations est une frange plus récente de cette science, aujourd'hui riche de données.
Car finalement, en caricaturant les choses, elle est née de questions posées
si l'on considère à la fois Mendel et Darwin.
Car comment inscrire les gènes,
Un gène est une
information intervenant dans l'établissement d'un caractère de l'individu. Elle est écrite en langage ADN
à base de 4 lettres différentes: les nucléotides. Chaque information est définie par la séquence (nombre et ordre) des nucléotides
leurs mutations, leur expression, dans un autre concept qui est celui de l'évolution
des espèces?
Or l'évolution est le futur d'une espèce.
Alors on quitte l'individu et on regarde un nombre d'individus, sur un nombre de générations.
Génétiquement, c'est quoi une population?
C'est un groupe d'individus appartenant à la même espèce et possédant, de ce fait, les mêmes gènes, ce qui leur permet de se reproduire Critère d'interfécondité : appartiennent à la même espèce les individus capables de se reproduire entre eux. ensembles.
Ces individus vivent dans un lieu géographique donné qui autorise les rencontres et donc la reproduction.
Si tous ces individus ont les mêmes gènes, ils n'ont pas tous les mêmes allèles Les allèles d'un gène sont ses versions modifiées, des séquences nucléotidiques qui varient un peu. De nombreux gènes présentent plusieurs dizaines d'allèles différents. de ces gènes. Par exemple, la population européenne humaine présente les allèles A, B et O du gène "groupe sanguin" (les chats n'ont que A ou B) et deux allèles pour le gène appelé facteur Rhésus : + ou -. Ainsi, une population apparaît maintenant, si on considère l'ensemble des gènes définissant l'espèce, comme possédant un pool ou patrimoine allélique présentant une certaine diversité liée à ce qu'on nomme le polymorphisme génique De poly (plusieurs) et morphos (formes). C'est le fait qu'un gène possède au moins 2 allèles différents qui sont présents à une fréquence supérieure ou égale à 1% dans une population.
La génétique des populations se raisonne sur les allèles des gènes, pas sur les gènes eux-mêmes.
Et alors? Deux populations...
Alors deux populations qui sont géographiquement isolées l'une de l'autre peuvent présenter des pools alléliques différents: les mêmes gènes mais pas les mêmes allèles de ces gènes ou alors, pas la même fréquence des allèles.
Et oui, introduisons un nouvel acteur dans cette histoire: la fréquence des allèles. Ceci se ramène aux pourcentages d'individus porteurs de l'une ou l'autre version d'un gène, donc porteurs de l'un ou l'autre des allèles de la panoplie.
Par exemple, l'allèle O est globalement le plus fréquent, mais entre 54 et 87% suivant les populations étudiées. L'allèle B est absent chez les indiens du Mexique, mais atteint presque 23% chez les Pygmées.
Mais tous ces allèles...
Ils sont nés et continuent de naître spontanément chez certains individus du fait naturel des mutations Une mutation est un évènement naturel, spontané, donc imprévisible. Elle modifie la séquence nucléotidique du gène. Par exemple ---TTAGCCTA-- devient ---CTAGCCTA. Les mutations sont donc responsables de la diversité des allèles..
Un nouvel allèle ne naît pas d'une "nécessité", il naît d'un total hasard. La nature crée au hasard. Les mutations font partie de ce qu'on appelle des innovations génétiques. Ceci explique d'ailleurs que 2 populations isolées puissent acquérir, dans le temps, des allèles différents.
Mais nous devons là aborder une nouvelle notion (et oui, encore un acteur de l'histoire !): celle de la valeur des allèles. Les neutres, les positifs et les négatifs...
Quelques exemples :
- Si on considère les 3 allèles A, B et O que j'ai cités plus haut (en toute connaissance de cause car tous les humains les connaissent!), ils sont neutres. Ils n'induisent aucun effet négatif pour la survie et la reproduction de ceux qui les ont. Ils n'entraînent pas non plus d'avantage sélectif, c'est-à-dire une meilleure survie ou capacité de reproduction (enfin! on espère!!!).
- Les "négatifs" sont ceux qui en un temps donné et dans un lieu donné vont défavoriser l'individu, dans sa survie et/ou dans sa capacité de reproduction (les 2 étant dépendants mais on privilégie aujourd'hui la notion de reproduction. Logique ! On raisonne sur des générations).
- Quant à ceux "favorables", allèles à valeur positive, ce sont ceux qui confèrent, toujours en temps et lieu, un avantage sélectif à celui qui les possède. Caricaturalement: plus grand, plus beau, plus fort et plus fertile.
Là, nous venons de basculer vers la notion de sélection naturelle.
La sélection naturelle?
En raccourci: c'est le milieu qui sélectionne les allèles (et non pas qui les crée, ce qui fut une vieille querelle durable en principe aujourd'hui tranchée).
En un peu plus développé, ce sont les conditions réalisées dans un milieu (géographique) et dans un temps donné(nous sommes sur x générations) qui vont faire le tri parmi toutes ces innovations génétiques dont sont ou deviennent porteurs certains individus de la population.
- Si c'est neutre, bof! Aucune emprise du milieu.
- Si c'est négatif, du style "j'ai des jambes biscornues et je ne peux pas courir vite", en temps et heure, cela empêche ou limite la survie individuelle ("Ciel, le gros prédateur me rattrape !") et/ou la capacité de reproduction ("Zut, Je ne peux pas arriver le premier vers la belle!"). On peut donc ranger là les innovations de la vie qui induisent des fragilités devant certaines conditions du milieu, voire une mortalité précoce ou l'incapacité de reconnaissance d'un partenaire qui empêche la reproduction.
- Faut-il vraiment vous donner un exemple caricatural d'une mutation à valeur positive? Non ! Vous avez compris le principe.
Il reste à tirer les conséquences de cela, en termes de génétique des populations s'entend.
Au fil des générations, mais dépendant du nombre d'individus et du nombre de générations considérées, on en arrive globalement au fait que:
- Les mutations neutres sont relativement conservées (et transmises) dans la population. Leur fréquence fluctue cependant selon une certaine absence de règle à laquelle on a donné le nom de "dérive génétique". En clair, cela peut augmenter comme cela peut baisser jusqu'à disparition... Le hasard?
- Les mutations à valeur négative tendent à être éliminées. On souligne la formule tendent à. L'élimination peut se faire, mais le plus souvent, la mutation est conservée chez un petit nombre d'individus (qui continuent à la transmettre).
- Les mutations positives tendent à augmenter en fréquence. Là aussi, on insiste sur tendent à. Car les individus porteurs bénéficient alors d'un avantage sélectif.
La vigueur des hybrides ou l'avantage de l'hétérozygotie
Voilà autre chose... Qui doit s'ajouter à notre discours car explicatif de quelque chose évoqué dans le paragraphe suivant et découlant de l'évolution "normale" d'une population suffisamment importante en nombre d'individus et suffisamment riche en diversité allélique. Tous ces allèles sont brassés lors de la reproduction sexuée, ce qui permet littéralement de créer, pour chaque descendant, une garniture d'allèles qui lui est propre et plutôt hétérozygote. Nous possédons 2 exemplaires de chacun de nos gènes (chacun sur un des 2 chromosomes d'une paire). L'hétérozygotie pour un gène consiste à posséder 2 allèles différents. Ceci pour dire que chacun est le plus souvent pourvu de deux allèles différents pour un grand nombre de ses gènes. Quand on a 2 allèles identiques d'un même gène, on est homozygote. Ainsi, si je reprends le cas des groupes sanguins, si je suis A ou B, je peux être en fait A/A, B/B, homozygote, ou A/O, B/O, hétérozygote (quand on est O, on est forcément homozygote O/O et quand on est AB, on est forcément hétérozygote A/B du fait de dominance-récessivité).
Or l'état hétérozygote a certaines vertus. En caricaturant, si un allèle est plutôt négatif, l'autre peut le compenser s'il est positif. Si les 2 sont plutôt positifs, c'est super : on affichera le meilleur offert par chacun. Bien sûr, si les 2 sont négatifs, ce n'est pas bien. Mais avoir 2 allèles négatifs associés est plus rare statistiquement que d'en avoir 2 bons différents ou un mauvais et un bon. D'où le fait que l'hétérozygotie a beaucoup plus de chances de conférer des avantages sélectifs. Ce qui fut jugé, notamment chez les végétaux, comme la "valeur des hybrides" (application simplifiée de ce fait : la production de semences hybrides qui permettent une meilleur vigueur des plantes obtenues).
L'état hétérozygote limite en fait beaucoup les manifestations des allèles de valeur négative. Pour certaines séries de gènes, par exemple ceux gouvernant les mécanismes de défense de l'organisme, il induit une plus grande diversité des anticorps synthétisés qui représente des capacités de défense bien plus larges.
L'homozygotie ne serait finalement intéressante que si elle concernait des gènes "anodins". Mais peut-on définir des gènes "anodins"? Plutôt ceux qui "font le décor" que ceux qui font fonctionner? Ceci ne peut être pris que dans beaucoup de limites. Car si on peut considérer qu'un gène déterminant une couleur de pelage est du type "décor", sa valeur est neutre en élevage mais peut très bien devenir un avantage ou un inconvénient suivant le milieu, tant il est vrai qu'en génétique, un fait vaut à un moment donné et dans un lieu donné. Ainsi, un Coon noir et un Coon blanc dans une maison, rien à remarquer. Un Coon noir dans la neige, ce n'est pas forcément avantageux. Par contre, un Coon blanc dans la neige...
Et l'élevage dans tout cela?
Et bien l'élevage est un concept humain qui interfère avec les processus naturels auxquels il ne laisse plus toute la place pour gérer et réguler dans le temps la diversité allélique de l'espèce élevée. Selon la façon dont il est conduit, et notamment si ne sont pas intégrées certaines connaissances, il peut générer le pire tout en étant généralement initié dans l'idée du meilleur.
Premier fait: une race résulte d'un choix initial, celui d'un nombre limité de reproducteurs porteurs des caractéristiques morphologiques recherchées (et jugées les meilleures). Ainsi, les fondateurs de la race représentent une sous-population qui a été prélevée dans la population mère. Elle ne porte donc en elle, dès le départ, qu'une partie du pool allélique de sa population mère.
Second fait: cette sous-population est répartie dans différents élevages qui ne pratiquent pas forcément des échanges fréquents de géniteurs. Ceci construit donc autant de sous-sous populations, chacune ne représentant qu'un pool allélique encore réduit du fait du nombre restreint de chats.
Troisième fait: à l'intérieur de l'élevage, le programme de reproduction tend souvent en priorité à fixer un type qui soit le plus beau possible et transmis le plus souvent possible aux chatons. Le cas de ceux que l'on nomme les Clones et leurs descendants directs, chez le Maine Coon, est un exemple de cette situation. Pour atteindre ce genre d'objectif, on travaille en forte consanguinité. Ceci a pour conséquence de "fixer" effectivement les caractéristiques recherchées car cela augmente la fréquence de l'état homozygote (2 allèles identiques du gène) pour les gènes impliqués... Mais aussi pour les autres. On ajoute à cela le fait que les reproducteurs les plus typés sont très utilisés et longtemps. Ils transmettent donc à un grand nombre des descendants leurs combinaisons d'allèles peu variées. Et enfin, on considère le cas possible de mutations pathogènes présentes dans ce faible pool et non repérées rapidement (ou non "reconnues" comme telles) qui continuent à être transmises car on n'écarte pas les chats suspects assez vite de la reproduction.
Voilà qui est suffisant pour jeter les bases de la réflexion à suivre et qui doit s'appuyer sur la considération de la totalité des gènes qui s'expriment pour construire un chat, et pas seulement sur ceux qui "se voient" à travers son look.
Le "meilleur" est donc obtenu en sélectionnant les allèles qui construisent le plus beau type. Mais la même sélection, plus insidieuse car pas aussi "éclatante" est conduite en même temps sur les gènes qui gouvernent le fonctionnement de l'organisme. Pour chacun d'eux, la diversité allélique se trouve réduite. Et pour nombre d'entre eux, ce sont des conséquences au niveau de la viabilité des individus et de leur capacité reproductive qui vont se manifester. Le cortège des manifestations d'un appauvrissement du pool allélique d'une race ou d'une espèce est connu car reconnu dans des espèces élevées comme chez des espèces sauvages. Baisse de fertilité, fréquence plus grande de cancers, déficits immunitaires, tares génétiques à expression plus ou moins tardive en sont des indices. On admet qu'il peut atteindre un degré tel que l'espèce se trouve alors dans un "cul de sac" évolutif, le rythme naturel des innovations n'étant pas suffisant pour compenser dans le temps l'appauvrissement allélique et ses conséquences négatives sur la survie de la population, voire de l'espèce.
Il est donc nécessaire au moins de repérer les indices et d'en accepter le sens afin de mettre en place des remèdes (si bien sûr on veut tenter d'y remédier).
Ceci amène à se demander comment on peut pratiquer l'élevage, quelles sont les règles qui peuvent permettre d'arrêter le processus d'appauvrissement quand il est déjà en cours, ou comment ne pas le démarrer dans le cadre de la sélection d'une nouvelle race.
Forcément, si "recettes" il y a, elles sont issues de la reconnaissance des faits, de connaissances admises et d'une prise de décisions. Et il faut admettre que leur mise en œuvre peut être très coûteuse en termes affectifs et financiers.
Alors? (liste non exhaustive)
- Choisir des reproducteurs et des mariages qui limitent au maximum la répétition de certains chats dans les pedigrees. Limiter ou ne pas pratiquer ces mariages en inbreeding majeur : père-fille, mère-fils, frère-soeur...
- Avoir le courage d'écarter très vite de reproduction tout chat suspecté de transmettre une fragilité, une mutation pathogène.
- Limiter dans le temps l'utilisation des reproducteurs et varier les mariages (ceci a au moins la vertu d'associer deux combinaisons d'allèles différentes chaque fois que l'on change le mâle ou la femelle).
- Introduire de nouveaux allèles par le biais d'autres races ou chats. Ceci est ou non autorisé suivant les races. Mais ce que l'on nomme communément "l'ouverture de sang" reste bien la meilleure façon d'espérer redonner un peu de diversité à un pool diminué. Bien sûr, encore faut-il faire de "bons choix" quant à ce "nouveau sang" qu'on introduit.
Dire tout cela est une chose. Le mettre en œuvre est le réel travail d'élevage si on entend ce mot avec la déontologie qu'il est sensé inclure.