Vous trouverez ci-dessous la traduction d'un article du Dr. H. Lorimer, Inbreeding and Genetics ("Consanguinité et Génétique")
Heather Lorimer est docteur en biologie, professeur associé de génétique à l'université de Youngstown et éleveuse d'orientaux sous l'affixe Synergy.
Qu'est-ce qui définit une race?
C'est une grande question de nos jours, mais il existe une réponse simple, quoi que puissent en dire les organisations félines !
Sérieusement, l'élément le plus essentiel de toutes les races félines à pedigree que l'on rencontre en exposition (ou qui sont en cours de développement dans l'optique d'être exposées), dans toutes les organisations félines, est le standard de la race. Historiquement, les races ont été découvertes dans un pays particulier, ou bien sont fondées sur une mutation, ou encore ont été créées à dessein. Mais dans tous les cas, les éleveurs ont cherché à sélectionner des caractères spécifiques, considérés comme désirables dans la race.
Les populations naturelles peuvent aider à comprendre comment des caractéristiques uniques peuvent apparaître et être maintenues.
Une large variété de faits détermine les caractéristiques dont résultent une espèce ou une sous-espèce. Ces faits incluent :
- La sélection naturelle, par laquelle ceux qui parviennent à obtenir nourriture et abri survivent pour se reproduire, tandis que beaucoup d'autres meurent.
- La selection sexuelle, par laquelle couleurs, rites nuptiaux, chants ou danses permettent à certains individus d'être plus fréquemment choisis par le sexe opposé, de sorte que leurs allèles sont davantage transmis aux générations suivantes que ceux d'autres individus.
- La dérive génétique, qui fait que, dans les petites populations isolées, de façon aléatoire, des allèles sont perdus et d'autres sont fixés, y compris certaines mutations, ce qui ne se produirait pas nécessairement dans une population plus large.
Dans des conditions naturelles, ceux qui survivent sont ceux qui transmettent leur patrimoine génétique à la génération suivante. Les animaux ont des méthodes élaborées pour éviter la consanguinité, ce qui tend à optimiser la survie de leurs descendants, ces comportements d'évitement de la consanguinité leur étant d'ailleurs également transmis.
Par contre, les races à pedigree n'apparaissent pas tout à fait de la même manière que les espèces naturelles. A l'inverse, elles sont en premier lieu le fruit de la main de l'homme (ou de la femme), par le biais de l'élevage sélectif.
L'élevage sélectif (ou sélection artificielle)
Depuis des siècles, les hommes ont élevé par sélection quantité d'animaux, pour améliorer différentes caractéristiques. Bien avant que l'on connaisse quoi que ce soit à la génétique, il fut assez clair que si l'on croisait deux animaux possédant certaines caractéristiques, celles-ci pouvaient être transmises à leur descendance.
Dans une certaine mesure, les humains ont même appliqué ces pratiques à eux-mêmes. Un Viking qui voulait des fils forts pouvait épouser une femme forte. Une femme qui voulait s'assurer que les besoins de sa famille fussent satisfaits pouvait choisir un homme loyal et fiable qui sût bien chasser ou bien un bon fermier. Un chef tribal qui voulait s'assurer une descendance nombreuse pouvait épouser seulement une femme qui avait déjà donné naissance à un enfant, prouvant ainsi qu'elle était fertile.
Quand une race de chats (ou de chien, ou de blé) est créée, des traits caractéristiques sont recherchés par sélection. On appelle ce processus la "sélection artificielle". Dans un système de sélection artificielle, comme par sélection naturelle, seule une petite part de la population se reproduit. Dans ce cas, ceux qui se reproduisent sont choisis dans ce but par les hommes. Les individus qui ne présentent pas les caractères désirés sont écartés de la reproduction. La sélection artificielle peut progresser avec une rapidité surprenante, car des critères spécifiques sont utilisés pour déterminer les parents de la génération suivante. Cependant, cela ne signifie pas que d'autres faits génétiques ne sont pas à l'œuvre. De fait, certains, tels que la dérive génétique aléatoire, constituent un problème manifeste dans les races créées par l'homme.
Les humains, comme la plupart des autres Mammifères, ont généralement évité les mariages avec leurs proches parents. La plupart des sociétés désapprouvent sévèrement l'inceste, et il est illégal dans nombre d'entre elles. D'autres Mammifères ont également élaboré des comportements sociaux pour éviter la consanguinité. A cela, il y a de puissantes raisons biologiques : la consanguinité entraîne une large variété de problèmes de santé et de viabilité générale (fitness), qui réduisent le potentiel de survie.
Malheureusement, les humains n'appliquent pas les mêmes normes aux animaux qu'ils élèvent, en particulier quand ils sélectionnent une apparence (un "look") par opposition à la performance.
Pourquoi en est-il ainsi?
Cela tient au fait qu'au départ, la manière la plus simple de reproduire une caractéristique physique est de croiser uniquement les individus qui l'expriment. S'il n'y a que quelques individus qui présentent ce caractère, on peut alors réduire drastiquement le pool génétique de la race. En plus de cela, il est toujours plus simple de travailler avec des animaux qu'on possède, plutôt que de les acheter ou de rechercher un étalon dont le propriétaire accepte d'accorder une saillie extérieure. Il y a d'ailleurs des problèmes inhérents à l'introduction de nouveaux animaux ou au séjour d'une femelle en saillie extérieure. De nouvelles maladies pourraient entrer dans la chatterie, des caractères non souhaités pourraient soudain s'exprimer sans qu'on s'y attende dans la descendance. Aussi, en général, il n'y a qu'un très petit nombre d'animaux choisis pour produire la génération suivante.
Une simple question de commodité au départ peut finalement produire un animal au type exceptionnel. Les gens ont envie de réitérer une réussite. Si cela a marché une fois, cela pourrait marcher à nouveau: et c'est ainsi que certaines pratiques d'élevage se perpétuent.
Ceux qui ont utilisé cette méthode forment ensuite d'autres personnes à faire la même chose, et elle est transmise de mentor à débutant pendant des générations. Assurément, quand le pool allélique est très réduit, la variabilité l'est aussi et les chats présentent un type de plus en plus uniforme.
D'un autre côté, certains éleveurs ont réussi avec succès à sélectionner un "type" tout en évitant la consanguinité. Généralement, cela tend à produire des animaux en meilleure santé, plus vigoureux. Réciproquement, ils forment d'autres personnes à la méthode d'élevage qu'ils ont choisie. Du point de vue de la santé génétique de la race, il devrait s'agir de la méthode de choix. Malheureusement, les vieilles habitudes ont la vie dure.
Qu'est-ce qu'est exactement la consanguinité?
En quoi cela a-t-il un lien avec le line-breeding?
Pourquoi est-ce que cela affecte la santé d'un animal?
Qu'est-ce que la consanguinité et qu'est-ce que ça n'est pas?
La consanguinité (inbreeding) consiste à marier des individus apparentés. Dans un certain sens, tout animal est consanguin à un certain degré, dans la mesure où tous les membres d'une espèce sont apparentés, quoique de manière très distante. Cependant, la consanguinité est communément définie par le mariage d'individus étroitement apparentés, la forme la plus extrême d'inbreeding étant le mariage du père et de la fille (ou de la mère et du fils), suivie de près par le croisement du frère et de la sœur, puis du demi-frère et de sa demi-sœur, du grand-parent avec le petit-enfant, avec ensuite les cousins au premier degré ou bien l'oncle et la nièce (ou la tante et le neveu). Dans des relations plus distantes, il peut n'y avoir qu'un ancêtre commun sur un pedigree de 5 générations.
De nombreux éleveurs affirment éviter l'inbreeding, mais disent pratiquer du "linebreeding" pour "fixer" le type. Ne vous méprenez pas: le linebreeding est de l'inbreeding. Les éleveurs félins donnent simplement une dénomination plus acceptable à un degré d'apparentement qu'ils estiment tolérable. Le "linebreeding" n'est pas un concept reconnu par les généticiens. L'inbreeding l'est, et tout y est question de degré.
J'ai entendu dire que le "line-breeding était de l'inbreeding qui avait fonctionné, et que l'inbreeding était du line-breeding qui avait échoué". C'est une assez bonne description de l'état d'esprit qui prévaut.
Quels sont les raisons pour lesquelles les éleveurs recourent à la consanguinité?
Aux débuts d'une race, un certain degré de consanguinité est généralement nécessaire pour obtenir les caractéristiques désirées de la race. Initialement, les sujets sont rares, de sorte qu'il est nécessaire de les croiser entre eux pour en faire naître d'autres.
Cependant, une fois que le type est suffisamment commun à la race pour que les individus qui y appartiennent soient aisément reconnaissables comme tels, tout vrai besoin de continuer à recourir à la consanguinité a disparu. Les gènes qui donnent le type ont déjà été sélectionnés. Dès lors que deux sujets partagent les traits caractéristiques du type de la race, il devrait être possible de les croiser et d'obtenir des chatons typés. Bien entendu, comme on le sait bien, il y a toujours une part de chance, et telle portée donnée peut ou non présenter ce que chacun recherche personnellement.
Il existe un mythe persistant concernant le linebreeding, selon lequel c'est "la" méthode pour obtenir et conserver un bon type. C'est, en effet, "une" méthode, mais pas "la" méthode. De fait, si vous mariez deux chats qui ont un bon type, les chances sont plus grandes d'obtenir des chatons avec un bon type. Des grands gagnants en exposition venaient de chatteries qui évitaient de pratiquer du linebreeding autant que possible dans leurs mariages. D'autres grands vainqueurs d'exposition sont nés chez des éleveurs qui croisent intensivement les mêmes lignées. Le point commun entre les deux méthodes, c'est qu'elles comptent toutes les deux sur des chats bien typés.
La consanguinité et ses effets généraux
Les Mammifères, comme la plupart des autres animaux et tout aussi bien certaines plantes, possèdent des mécanismes évolués pour éviter la consanguinité. Certains organismes, comme les cerises douces, ont même développé des mécanismes biochimiques élaborés qui empêchent leurs fleurs d'être fertilisées par elles-mêmes ou par des individus très similaires sur le plan génétique.
La plupart des animaux qui vivent en groupe (comme les lions, les primates ou les chiens) chassent les jeunes mâles hors du groupe de façon à empêcher leur accouplement avec des femelles de leur parentèle. Les humains ont des tabous très forts concernant le mariage entre membres de la même famille. Il semble même que les drosophiles mettent en place un mécanisme pour éviter des formes de consanguinité trop rapprochées (même en population fermée, elles maintiennent davantage de diversité génétique qu'il n'est attendu dans un système d'assortiment au hasard).
Pourquoi les êtres vivants évitent-ils la consanguinité? Parce qu'en général, il est nuisible à une population ou à un organisme d'être très consanguin. Il existe un phénomène bien étudié, quoique seulement partiellement compris, qu'on appelle la dépression de consanguinité.
On considère que la dépression de consanguinité est d'abord causée par l'accumulation d'une multitude de mutations délétères, peu d'entre elles étant létales en elles-mêmes, mais toutes diminuant la viabilité générale. Normalement, dans une population exogame, la sélection s'exercerait à l'encontre de ces allèles, ou ils seraient maintenus à taux bas ou compensés par la présence de "bons" allèles (versions de gènes) présents dans la population.
On pense généralement que les mutations apparaissent seulement rarement. C'est assurément le cas pour les gènes pris individuellement et pour les mutations prises dans leur individualité. Néanmoins, les scientifiques ont mesuré les taux de mutation chez les humains, les chimpanzés et les gorilles, et ils ont découvert qu'il y avait environ 4,2 mutations/individu/génération qui modifient les protéines qui sont le produit final concrètement fabriqué à partir des gènes suivant le code génétique. Sur ces mutations, 1,5 en moyenne sont délétères, c'est-à-dire pourraient nuire à l'individu si elles étaient combinées en homozygotie. Les scientifiques qui ont conduit ces études suspectent que les chiffres auxquels ils sont parvenus sont en fait artificiellement bas, ce pour diverses raisons valides. Ils estiment que le nombre réel peut être plus près de 3 mutations délétères par individu et par génération.
Mais, alors, comment se fait-il que nous n'ayons pas une multitude de maladies génétiques? L'explication est relativement simple : cela tient au mode de reproduction sexué et à la combinaison des allèles des gènes lors du croisement de deux individus non-apparentés.
Quand cette compensation ne peut pas exister parce que les deux parents ont déjà pour une grande part les mêmes allèles, il en résulte une dépression de consanguinité dans leur descendance directe, ou, si ce n'est pas le cas, après quelques générations supplémentaires de tels croisements.
La dépression de consanguinité englobe une large variété de défauts, physiques et sanitaires. Généralement, un sujet consanguin présente plusieurs de ces défauts, mais pas tous.
Ces défauts incluent :
- Une incidence accrue de maladies génétiques récessives.
- Une fertilité réduite (taille des portées moindre, moindre viabilité des cellules sexuelles).
- Une fréquence accrue d'apparition de défauts congénitaux tels que cryptorchidie, malformations cardiaques, fentes palatines.
- Des asymétries variables (telles que des déformations faciales ou bien des placements ou des tailles d'yeux dissymétriques).
- Une réduction des poids de naissance.
- Une mortalité néonatale plus élevée.
- Un rythme de croissance moindre.
- Une taille adulte plus faible.
- Une perte d'efficacité des défenses immunitaires.
Peut-on au moins éliminer des défauts génétiques spécifiques par consanguinité?
La consanguinité constitue-t-elle un moyen d'écarter des maladies génétiques par sélection?
L'utilisation minutieuse de la consanguinité pour détecter et écarter les problèmes génétiques semble, en apparence, une bonne idée, bien qu'il s'agisse d'un travail considérable, problématique en termes de nombres d'individus impliqués. Incontestablement, c'est utile dans des circonstances précises (quand le problème génétique est clairement délimité et que son mode de transmission est connu). Néanmoins, les croisement-tests pour faire ressortir des maladies récessives sont notablement difficiles, et n'écarter de la reproduction que les individus qui sont atteints par la maladie s'avère très inefficace pour réduire l'incidence d'une pathologie récessive. Les données indiquent que les souches consanguines sont porteuses d'un plus petit nombre de défauts génétiques récessifs, mais c'est plus que contrebalancé par le fait que les individus ont beaucoup plus de risque d'être atteints par ces défauts.
Les croisements exogames peuvent introduire de nouveaux "mauvais" allèles, mais aussi longtemps que ces animaux ne sont pas croisés en consanguinité, ces nouveaux défauts génétiques ont très peu de risques de s'exprimer. Un sujet peut être porteur de 10 maladies récessives sans qu'aucun de ses descendants n'en soit atteint, parce qu'il aura été marié avec un animal qui a un jeu de "bons" et de "mauvais" gènes complètement différent. Un animal consanguin peut n'être porteur que de deux défauts génétiques, mais donner naissance à des individus pour moitié atteints de l'un ou l'autre, parce qu'il a été croisé en consanguinité.
De nombreux problèmes de santé avec une composante héréditaire (comme les cancers, les susceptibilités à certaines maladies, les maladies auto-immunes ou l'amyloïdose) ne semble pas être transmis sur un mode dominant ou récessif simple (monogénique). A l'inverse, une susceptibilité est héritée. Dans d'autres cas, les gènes en jeu peuvent avoir une expression variable (produisant un large panel de degrés de sévérité) ou bien être partiellement pénétrants (certains sujets ont le gène mais pas la maladie). Mais ces susceptibilités se transmettent cependant, entraînant une incidence accrue de cancers, de problèmes auto-immuns et tout un assortiment de défaillances organiques chez les animaux consanguins.
Le résultat final est que, dans l'ensemble, les animaux consanguins sont moins "viables" que les sujets nés de croisements exogames.
En conséquence, étudier le degré de consanguinité et la diversité génétique aide à définir à quelle proximité de l'échéance se situe une espèce en danger d'extinction. Si, au sein d'une population, la diversité génétique est élevée, ses membres ont plus de chances d'être "viables" : en tant qu'espèce, elle a plus de chance de traverser plus facilement des modifications environnementales ou un goulot d'étranglement de la population qu'une espèce dont le niveau de diversité génétique est faible.
Bien des éleveurs sont des adeptes fidèles et dévoués du "line-breeding", et beaucoup d'entre eux ne considèreront jamais une quelconque preuve scientifique du contraire comme vraie, digne d'intérêt ou s'appliquant à leur race particulière. J'ai entendu de nombreux amateurs félins dire : "Mais ces études ont été faites avec des mouches, des souris, des guépards et des vaches ! Ce ne sont pas des Persans !", ou quelque chose du même genre. Il y a aussi de nombreux éleveurs couronnés de succès, qui consanguinisent presque au même degré que celui utilisé pour les souches consanguines des animaux de laboratoire et qui ont continué à faire naître des animaux remportant tous les honneurs en exposition. De fait, si leur gestion sanitaire est très très bonne et qu'ils sont très très chanceux, ils peuvent même éviter beaucoup de décès prématurés et des défauts majeurs et évidents nuisant à la santé ou au développement. Il y a, après tout, toujours une part de chance qui est en jeu. Mais pourquoi aller prendre de tels risques quand on n'y est pas obligé?
Je suis toujours surprise que la plupart des éleveurs puissent très bien concevoir que laisser leurs chats se balader en liberté à l'extérieur soit souvent dangereux pour eux, de sorte que presque tous les éleveurs spécifient à leurs acheteurs que leurs chats ne doivent pas être autorisés à sortir (même s'il y a beaucoup de gens qui laissent leurs chats déambuler à l'extérieur et que certains vivent une longue vie en bonne santé) alors qu'il y a seulement quelques personnes qui abandonnent le linebreeding quand les autres font face à des désastres et qu'il existe une littérature scientifique considérable pour souligner les dangers que représente la dépression de consanguinité. Pourtant, cela ne dissuade pas les gens de continuer cette pratique qui est dangereuse de façon inhérente.
La consanguinité affecte toujours le système immunitaire. Que ces effets se remarquent ou non dépend de la qualité des soins prodigués aux animaux, du fait que l'éleveur ait ou non des animaux non-consanguins qui ont grandi dans le même environnement pour permettre une comparaison, et de la chance.
Les effets de la consanguinité sur le système immunitaire
Le plus grand dégât causé par la consanguinité est une diminution inévitable de l'efficacité du système immunitaire. Le système immunitaire des Mammifères est un étonnant système intriqué, conçu pour lutter contre tout potentiel intrus étranger. Il est absolument dépendant de la diversité génétique. Quand un animal a des copies identiques des gènes de son système immunitaire, celui-ci est plus limité dans ses capacités de prévention des maladies. Au final, l'animal peut très bien se défendre contre certaines maladies, mais est extrêmement susceptible à d'autres. Ce phénomène s'observe à la fois dans des conditions de laboratoire (il existe des listes des maladies auxquelles peuvent résister chaque souche murine consanguine, et celles contre lesquelles elles ne peuvent pas se défendre) et dans le domaine des espèces menacées.
Il y a un groupe de gènes qui joue un rôle critique dans la capacité d'un animal à se défendre contre toute la variété de maladies auxquelles il peut être exposé : les gènes du CMH (le complexe majeur d'histocompatibilité). Ce sont les gènes qui permettent de marquer virtuellement toutes les cellules de l'organisme vivant pour aider le système immunitaire à distinguer le "soi" des intrus étrangers (le "non-soi") tels que des bactéries ou des virus.
En plus de désigner comme "soi" une cellule du corps, ces gènes permettent de remplir une autre fonction essentielle. Ils servent à la liaison et à la présentation de toute molécule étrangère (ou antigène) au système immunitaire. Cette présentation d'antigène est nécessaire pour que les cellules du système immunitaire détectent et répondent à une invasion. Malheureusement, chaque protéine du CMH peut seulement se lier et/ou présenter une sélection d'antigènes. Heureusement, nous autres Mammifères avons un nombre important de gènes du CMH et il existe de nombreuses versions (ou allèles) de chacun de ces gènes.
Ces gènes jouent un rôle critique dans la capacité du système immunitaire à différencier ce qui est vous de ce qui est un objet étranger, comme à présenter les antigènes étrangers à votre système immunitaire. La diversité au sein de ces gènes est probablement essentielle pour qu'une espèce survive à la variété d'organismes pathogènes auxquels les individus peuvent être exposés.
Prenons un exemple simplifié. Imaginons qu'il y a 2 gènes du CMH, chacun ayant 5 allèles. Cela peut donner un total de 225 génotypes différents ! En fait, chez l'homme, il y a au moins 9 gènes distincts du CMH de classe I, et beaucoup plus de gènes de classe II, sans même parler des gènes de classe III. A ce jour, pour les 3 gènes les plus étudiés parmi les gènes de classe I, on a découvert 37 allèles pour l'un, 59 pour l'autre et 111 pour le troisième ! Cela entraîne une considérable diversité de capacités de défenses immunitaires dans l'ensemble de la population.
Cette considérable variation permet aux cellules de notre corps de réagir à une grande variété d'antigènes, nous permettant ainsi de nous défendre contre une grande variété de maladies. Un autre bénéfice ajouté de ce système, du fait de la considérable variabilité des gènes du CMH, est que les probabilités sont élevées, dans une famille donnée, que la mère et le père aient des jeux d'allèles complètement différents, de sorte que tous les enfants ont une combinaison unique. De cette manière, si une pathologie donnée parvient à échapper au système immunitaire d'un membre de la famille, il n'est pas sûr qu'elle puisse en faire autant avec les autres membres.
Quand un animal est hautement consanguin, ces variations sont dramatiquement réduites. En reprenant notre exemple simplifié à deux gènes avec 5 allèles chacun, un animal hautement consanguin serait homozygote pour ces deux paires alléliques et ne produirait que deux molécules du CMH. Ce qui empire les choses, c'est en fait que tous les animaux de ce groupe consanguin auraient les mêmes deux molécules, de sorte que si un animal ne peut pas se défendre immunologiquement contre une maladie, aucun ne le peut !
Un exemple de résultat du manque de diversité immunitaire peut s'observer sur les souches consanguines de souris de laboratoire.
Les souches consanguines de souris de laboratoire
La consanguinité a été un outil précieux pour les généticiens et les scientifiques en général. Par consanguinité, des lignées de souris, de rats, de lapins, etc., qui sont pour l'essentiel génétiquement identiques, ont pu être créées. Cela fait d'elles des sources d'expérimentation essentielles puisqu'un large nombre de variables est réduit dans la réaction des animaux à une expérience. Il existe des livres dédiés aux propriétés de chaque souche consanguine d'animaux de laboratoire. On peut y trouver si la souche est agressive, docile, très fertile, à quelles maladies elle présente une susceptibilité et celles auxquelles elle résiste, quels cancers et autres anomalies peuvent les toucher et à quel âge. Comme toutes les souches présentent une susceptibilité à au moins un type d'infection virale commune et à au moins une forme de cancer et/ou d'anomalie métabolique même celles qui ont été sélectionnées pour leur santé ! Elles permettent aussi d'étudier les processus pathogéniques.
Une remarque supplémentaire sur les souches consanguines de souris de laboratoire. Aucune d'entre elles n'a une espérance de vie moyenne aussi longue que les souris nées de croisements exogames. Pour créer une souche consanguine, un certain nombre de souris sont sélectionnées à la base, puis des croisements frères-sœurs sont répétés de génération en génération. Un nombre conséquent de couples de frères et de sœurs doivent être sélectionnés au départ, car beaucoup de ces tentatives échouent ; typiquement, les lignées s'éteignent entre la 5° et la 10° génération de croisements endogames.
Ci-dessous se trouvent une partie des informations sanitaires concernant trois souches de souris fréquemment utilisées en laboratoire, selon la compilation réalisée par Michael Festing dans un ouvrage de référence sur les souches consanguines de souris de laboratoire.
CBA - une souche largement distribuée et d'utilisation commune, sélectionnée à l'origine pour une faible incidence de tumeurs mammaires. Espérance de vie courte à moyenne. Forte incidence de tumeurs : 29% chez les mâles et 55% chez les femelles (dont lymphomes, hépatomes -cancer du foie-, adénomes pulmonaires et, oui, des tumeurs mammaires). Pression sanguine systolique élevée. Résistance à Salmonella typhimarium. Forte susceptibilité à la rougeole. Les performances reproductives varient en fonction des sub-lignées, de bonnes à faibles.
C3H - parmi les souches murines les plus communément utilisées. Touchée par une dégénérescence rétinienne. Extrême susceptibilité à un type de tumeur mammaire induite viralement. Près de 100% des femelles qui ne sont pas nées par césarienne développent des adénocarcinomes mammaires, ce que l'on n'observe pas dans les colonies SPF (exempte d'éléments pathogènes spécifiques, specific pathogen free en anglais). En d'autres termes, les petits des souris femelles doivent être confiés à une mère adoptive d'une autre souche murine, à moins qu'ils ne soient issus de lignées conservées dans un environnement stérile, sans virus ni bactéries. Espérance de vie moyenne par ailleurs. Incidence des tumeurs du foie de 9 à 23%, des tumeurs pulmonaires de 2 à 10%, de tumeurs mammaires non-viralement induites de 13 à 26%, de malformations cardiaques de 13 à 26%, de kystes ovariens de 13 à 26%. Susceptibilité à différents carcinogènes. Résistance à Salmonella typherium et au virus de l'hépatite murine. Susceptibilité à Entamoeba marinum. Susceptibilité élevée au développement de tumeurs mammaires d'origine virale. Performances reproductrices de moyennes à bonnes.
C57BL - de loin la souche la plus communément utilisée comme source génétique d'un nombre important de lignées congéniques. Souche murine consanguine relativement curieuse et maline. Espérance de vie moyenne à longue. Ratio poids des reins/poids du corps faible. Hyperphalangie et polydactylie (orteils supplémentaires) avec une faible incidence, hydrocéphalie avec une incidence de 4,1%. Activité thyroïdienne élevée. Résistance à de nombreux carcinogènes, hormis les strogènes, qui induisent une fréquence élevée de tumeurs. Certaines sub-souches présentent une incidence élevée d'amyloïdose. Forte susceptibilité à un virus leucogène, susceptibilité à la Salmonella typhimurium. Résistance à l'herpes simplex. Performance reproductives variables suivant la sub-souche.
Quelques lectures conseillées
Festing, Michael F. W. Inbred Strains in Biomedical Research, Oxford University Press, NY, 1979.
Frankham, R. Conservation Genetics Annual Review of Genetics. 29:305-27, 1995 [Review] [170 refs] Institution: Key Centre for Biodiversity and Bioresources, Macquarie University, Sydney, New South Wales, Australia.
Jimenez, J. A. Hughes KA. Alaks G. Graham L. Lacy RC. An experimental study of inbreeding depression in a natural habitat. Science. 266(5183):271-3, 1994 Oct 14
Institution: Department of Biological Sciences, University of Illinois-Chicago 60680.
Kuby, Janis Immunology 3rd edition by Janis Kuby, W. H. Freeman and Co., NY, 1997.
Le mot d'Odile
Cet article contient toutes les bases scientifiques abordables qui devraient être prises en considération par tout éleveur.
Cet article retrace toutes les dérives de l'élevage.
On peut admettre que celui qui débute ne soit pas informé a priori... On peut aussi admettre qu'il ne cherche pas forcément à le faire, suivant le "formatage" qu'il a reçu (et librement accepté) de la part des éleveurs de ses reproducteurs (la "parole bénite").
Il semble plus difficile d'admettre que certains, qui ne sont plus des débutants, perpétuent des pratiques à risque alors que chez le Maine Coon, toute la panoplie des conséquences d'un appauvrissement du patrimoine allélique se manifestent :
- Ces immunodéficiences qui commencent à ces "gingivites" "banales" mais chroniques qu'on veut oublier. Ce ne sont que des gingivites et la chronicité est secondaire !
- Ces cancers qui affectent des chats jeunes, avec répétitivité dans certaines lignées, et des fréquences qui sont au-delà du "normal acceptable".
- Ces pathologies cardiaques dites CMH dont au moins une, une cause majeure en terme d'individus porteurs, est aujourd'hui imputée à une mutation identifiée.
Il suffit pour s'en persuader de suivre certains fils de forum.
- La solution devrait venir des instances gouvernementales qui gèrent l'élevage...
- La solution devrait venir de TOUS les éleveurs, lucides, respectueux...
- La solution peut aussi venir, en partie, d'une implication un peu plus poussée des futurs acquéreurs de bébés Maine Coons qui doivent apprendre à poser les bonnes questions et interpréter certaines réponses.
Il y a encore beaucoup de chemin à faire dans toutes ces directions.